Fessebouc
12
oct.
2009
Non, je ne cèderais pas. La pression du Big Brother Fessebouc n'entamera pas mon intégrité!
Autour de moi, dans mon cercle d'amis restreint, dans le métro, dans la rue, ça ne parle que de Facebook. Rien que pour ça, premier point, j'ai pas envie d'y coller ma gueule et mes infos privées. Facebook, c'est une mode, mais une mode plus insidieuse que la tecktonik, qui elle au moins avait le mérite de nous faire rire. Ce n'est pas non plus la mode des pétasses à simili-santiangs en Calamity Jane urbaine, ni celle des lunettes-mouches qui n'a pour seule concurrent en taille que le logo DG qui lui est accolé. Ce n'est pas non plus la tendance "je baise avec mon iPhone" qui nous donne l'impression d'être dans un vaisseau spatial alors qu'on prend juste la ligne 7 du métro.
Non, Facebook c'est autre chose.
Facebook, ça m'énerve rien que parce que ça existe.
Je n'y ai jamais mis les pieds, si virtuels soient-ils, si geek sois-je. Mes potes y sont tous, sans exceptions. Même les deux-trois guitaristes envahissants, quand ils ne sont pas en train de s'accoupler avec l'instrument d'un autre. Là où ça m'interpelle vraiment, c'est que la majorité d'entre deux - et là on peut sortir de mon cercle amical pour l'étendre à l''ensemble de la populace - la majorité d'entre eux, disais-je, n'a jamais vu l'intérêt, en son temps, d'utiliser son ancêtre et concurrent, à savoir Myspace.
Je le confesse, j'ai utilisé Myspace un bon bout de temps. A cette époque, j'étais encore au sommet de ma gloire derrière les platines des caves underground de Paris (ouais, bon...) et Myspace était une réelle mine d'or autant pour les musiciens que pour les fans (avérés ou en devenir). Ce site m'a permis de prendre contact avec de nombreux artistes et même de collecter quelques albums à l'oeil dans le but de relayer leur promotions. Pratique, simple, axé, Myspace n'avait rien de l'Oeil de Sauron capable de trouver n'importe qui sous n'importe quel prétexte: des invitations sans intérêt, on en avait, certes, mais les refuser ne conduisait pas inexorablement à subir les foudres du petit Jeremy Duclou, camarade d'infortune rencontré lors d'un camps de vacance à Chie-dans-le-Tripotin, l'été de mes 9 ans.
Parce que Facebook, c'est votre passé qui vous colle au cul comme une boulette de PQ accroché aux poils. Un passé qu'on ne souhaiterait jamais voir émerger des volumineux albums photos de notre vie scolaire, période 1984-2000.
Mais si, vous savez. Ne le niez pas. Vous aussi, vous portiez des pulls tricotés qui grattent estampillés Musclor, Fido-Dido, peut-être même Mon Petit Poney. Si vous n'aviez pas de chance, vous avez également toléré, dans votre innocence juvénile, de porter la coupe au bol, la brosse et/ou la queue de rat.
Le soir venu, vous jouiez aux GI-Joe avec le petit Thomas, et titillé par le sens de l'interdit, c'est vous qui incarniez la fille lors de vos aventures imaginaires.
Un jour, c'est le grand David Fasquel qui vous a poussé dans la boue en ricanant derrière son duvet d'ado.
Plus tard, la petite asiatique du collège concurrent pour qui votre coeur s'emballait s'est moqué de votre acné naissante et de votre dentition mode SNCF.
Au lycée, vous étiez un adolescent rebelle, révolté, et vos idées contestataires était aussi nombreuses et volatiles que les pellicules qui ornaient tristement vos épaules voutées, emballées dans un pull le plus informe possible. C'est à ce moment que vous avez pris votre première véritable cuite, et vous avez vomi au beau milieu du bar devant des dizaines de témoins. Vous avez peut être même rompu avec votre petite amie de façon peu courtoise et encore maintenant, vous baissez les yeux lorsque vous croisez ses grand frères.
La liste est longue et propre à chacun de nous.
Alors je m'interroge. Toutes ses années ponctuées d'évènement dont vous rougissez encore, vous ne les avez pas vécues seul. Vos erreurs, vos moments de solitude honteuse, ces instants honnis qu'on aimerait ne jamais avoir vécu, je vous en conjure, laissez-les dans un coin de votre mémoire, en priant pour que les témoins de votre déchéance juvénile les ai oubliées.
Mais foutredieu, quel besoin vous avez de provoquer le sort en vous exhibant de la sorte sur Internet? Quel besoin pervers et masochiste vous anime pour que vous prenniez plaisir à ouvrir la porte à vos démons, à Thomas le troublant, à cette brute de David, à la jolie asiatique sadique?
D'aucuns me diront que dans la liste des personnes oubliées, "y'en a des biens", "que ça permet de garder le contact"...
Baste! Garder le contact! Je me gausse.
Déjà, les relations, ça s'entretient. J'en conviens, le tumulte de la vie n'aide pas toujours à garder près de soi un entourage agréable, et, à mon instar, on peut être de nature à "oublier", bêtement. Mais ces oublis ne sont pas fortuits, je pense. On fait le tri et la vie nous y aide; on n'en meurt pas. On ne va pas pleurer nos années au camping d'Ardres avec Pierre passées autour de la borne d'arcade du café du coin.
D'ailleurs, ces moment privilégiés qui teintent encore aujourd'hui notre enfance d'une aura de plaisir simple devrait rester dans notre mémoire et jamais, JAMAIS nous ne devrions tenter de les revivre des années plus tard.
On change, on évolue. Et parfois ce qui nous liait à 8, 10 ou 12 ans est précisement ce qui nous sépare une décennie plus tard. J'en veux pour preuve cette rencontre inopinnée avec Pierre, des années après notre scolarité... Une catastrophe. Silence gêné qui se mue bientôt en silence emmerdé, entrecoupé de temps à autre par des banalités de circonstance sur notre vie professionnelle. La bière achevée, nous nous éloignons bien vite, en omettant le plus simple des "à bientôt". Que nenni. Chacun de nous sait très bien qu'on se reverra pas: cette entrevue sonnait comme une rupture pendant un dîner de Saint-Valentin.
Afin de conclure ma digression sur la versatilité des relations passées et revenir sur le sujet qui nous interesse, j'ajouterais juste que je suis très mal à l'aise dans ce genre de situation et que je les évite au maximum. Pourtant, j'ai reçu un mail qui m'a fait plaisir, hier justement. Un mail. Un vieil ami m'a envoyé un mail près de 8 ans après notre dernière bière au Buffet de la Gare. Un mail. J'insiste, parce qu'un bête email à l'ère Facebook, ça me fait presque autant plaisir qu'une lettre manuscrite.
Donc, je disais.
Hormis la possibilité de se voir recontacté par des gens dont on a absolument plus rien à foutre, si ce n'est pire, il y a aussi l'exclusion évidente dont font preuve les inscrits à l'endroit des non-membre de la Sainte Tribu Fessebouc.
Les deux ou trois dernières fois que j'ai revu mes amis, à Calais, les conversations de groupe, joviales, légères et sans intérêt - du pur bonheur, on lâche un peu de leste - ont été interrompue par un sujet tout facebouquien.
"Vous avez vu la vidéo du mec qui se fout un bocal dans le cul?
Quelques réactions ecoeurées attestent que l'immense majorité de l'assemblé a eu conniassance de cette vidéo, ma foi, intriguante.
- Ouais je l'ai vue, lance l'une des traitresses. Même que le bocal il explose et que le mec pisse le sang du cul.
- Carrément, confirme un autre. C'est trop deg, en plus ça dure bien cinq minutes, le temps qu'il retire tout les bouts de verre."
Nouvelles exclamations. Silence.
- Ah, je l'ai pas vue, moi, osais-je sur un ton badin. En revanche dans le genre crados y'a la fameuse "Two Girls, One Cup"....
- AH AH! T'es trop à la masse, me lance Machin. C'est vieux ça."
Et d'ajouter d'un air hautain: "Ca a été posté sur le mur de Bidule. Mais comme t'es passur Facebook t'es au courant de rien."
- Je vous emmerdes, traîtres à votre propre sang, et je vous maudis sur quarante-deux générations pour vous être compromis avec ce EDVIGE populacier."
Bien entendu, la conversation sur cet illustre gobeur de bocal par l'anus a rapidement viré en réquisitoire pro-Facebook. De cet instant critique, j ne garde que le souvenir trouble d'un homme aux abois, cerné de toutes côtés par ces nazis aboyant leurs arguments stériles. L'un d'eux me braqua une lampe dans les yeux.
"Facebook c'est PRATIQUE!". Il me lance cette phrase avec la violence que son poing en plein visage. Ensanglanté, je crache au sien une glaire écarlate. "Plutôt mourir que de vendre mon âme!"
Il me frappe à nouveau. Je reste digne. Une blonde aryenne intervient. Son ton est calme, courtois, presque apaisant.
"Avec Facebook, tu gardes contact avec tes amis."
Je ne puis m'empêcher de rire. D'un rire nerveux, le rire de celui qui n'as plus rien à perdre. Ma machoire endolorie et mes lèvres fendues, jadis d'une troublante pulposité, parviennent à articuler une phrase, qui, je le sais, fera mouche. Toucher l'ennemi au coeur et mourir en héros.
"Foutaises! On a tous le téléphone, le portable depuis presque dix ans pour la plupart, on a accès à internet, aux emails! En ce qui me concerne, j'ai un blog que pas un ne visite même par courtoisie et vous voulez me faire croire que votre merde de Facebook va vous convaincre de prendre plus de nouvelles des un et des autres? Vous n'êtes pas foutu d'envoyer un SMS à vos amis, vous ne répondez qu'une fois sur trois à leurs emails... et... et vous vous enorguillissez de participer à un réseau social? Laissez moi rire... c'est un prétexte pour vous laver la conscience du manque d'attention à vos amis, c'est tout."
Mes bourreaux restent de marbre. Il est trop tard pour eux, le cerveau avalé par Facebook.
Je sens la vie me quitter, mon corps torturé réclame un repos définitif. Dans un dernier effort, je les regarde tous dans les yeux.
"Je ne suis pas le traitre de l'histoire. Facebook n'est rien d'autre qu'une excuse. J'espère que vous ouvrirez les girafes."
Ahem, oui, les derniers instants ne sont pas toujours glorieux. Le manque d'oxygénation du cerveau, tout ça.
Quoiqu'il en soit, je le dis haut et fort: Facebookiens, je vous hais.
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